Pour son implication dans la préservation du patrimoine et de la culture à Mashteuiatsh, Bibiane Courtois fut reçue membre de l'Ordre du Bleuet le 25 mai 2024, à la Salle Desjardins/Maria-Chapdelaine à Dolbeau-Mistassini.
Pour son implication dans la préservation du patrimoine et de la culture à Mashteuiatsh, Bibiane Courtois fut reçue membre de l'Ordre du Bleuet le 25 mai 2024, à la Salle Desjardins/Maria-Chapdelaine à Dolbeau-Mistassini.
Crédit : Photo Kth photographie
Bibiane Courtois naît à Pointe-Bleue au bord du majestueux lac Saint-Jean, le 19 janvier 1947. Membre de la nation des Pekuakamiulnuatsh, ses influences lui viennent des femmes de sa famille et seront déterminantes pour ses choix futurs. Ses grands-mères fortes et courageuses dont les époux travaillent en forêt, qui doivent entretenir leur nombreuse progéniture avec peu de moyens. Sa mère Albertine, s’occupant des siens sans jamais faillir quand leur père, Gérard, va lui aussi gagner sa vie au loin. Ces modèles de persévérance, impliqués dans leur communauté, la mettent très tôt sur la route de l’entraide et de l’ouverture aux ...
autres.
La jeune fille choisit donc la profession d’infirmière après une visite des laboratoires de l’Hôtel-Dieu Saint-Michel de Roberval. Cette première incursion dans le milieu médical lui apporte beaucoup de questionnements sur la vie et la mort, la santé et la maladie. En 1967, son diplôme en main, elle intègre l’hôpital Sainte-Élizabeth de Roberval où elle passera la majeure partie de sa carrière. Première infirmière laïque de l’établissement, elle s'engage rapidement dans l'humanisation des traitements dispensés aux personnes psychiatrisées. La voie du «prendre soin» s’ouvre à elle, pavée de plusieurs défis qu’elle saura relever accompagnée de son conjoint Serge Harvey. Depuis plus de 54 ans, son époux est son soutien essentiel dans la réalisation de ses projets professionnels et de ses implications identitaires. À travers son travail de tous les jours, la soignante constate les pertes liées à l’identité et leur impact sur la santé des individus. Elle met donc sur pied, dans les années 1980, un programme pour améliorer les soins offerts aux personnes âgées, inspiré du modèle infirmier de Virginia Henderson prônant l’autonomie des êtres vieillissants.
Parallèlement à sa carrière, la femme de cœur et de tête s’investit sans relâche dans diverses causes à portée sociale. À la fin des années 1960, une réalité la frappe de plein fouet lorsqu'elle devient mère. Elle prend alors conscience que la Loi sur les Indiens la discrimine elle et ses descendants. La règle, encore en vigueur dans certains endroits au Canada, rend les femmes mariées à un homme non autochtone inexistantes aux yeux de la loi et leur fait perdre leur statut. Pas question d'abandonner le droit de ses enfants à leur identité, ce combat devient primordial ! Par solidarité, elle joint les rangs de Femmes autochtones du Québec. Élue présidente en 1983, elle contribue à l'abolition, en 1985, de cette clause injuste et réussit à la faire amender puis éliminer. Cet accomplissement lui vaut d'être la première femme autochtone nommée à la Commission des droits de la personne et au Conseil du statut de la femme du Québec. Son retour à ses origines lui permettra de reprendre contact avec sa culture et celle des Anciens et de la léguer à ses enfants.
Au cours des années 2000, Bibiane décide qu’il est temps pour les artistes et artisans de Mashteuiatsh de mettre la main à la pâte, de se présenter tels qu’ils sont et de se faire connaître du grand public. Elle s’engage alors activement pour le patrimoine en acceptant le poste de directrice générale du Musée de Mashteuiatsh. Elle veut agir concrètement sur le renforcement de la fierté de son peuple en lui insufflant son énergie. En rapatriant des objets culturels de sa communauté, elle réalise avec son équipe une nouvelle exposition permanente d’envergure qui donne un mandat clair à l’organisme. La préservation de leurs mœurs et coutumes demeure la mission des employés de ce lieu unique œuvrant à protéger et partager les connaissances et les valeurs de la nation innue.
Cette grande dame a reçu plus d’un prix dans sa carrière. Par exemple : l'Insigne du mérite de l'Ordre des infirmières et infirmiers du Québec, en 1998, soit la plus haute distinction décernée par cet ordre professionnel; un doctorat honoris causa de l’Université Laval, en 2022, l’une de ses plus grandes fiertés; le Prix Égalité Thérèse Casgrain en mars 2023, remis par le gouvernement du Québec, pour sa contribution à l’égalité des hommes et des femmes au Québec.
Aujourd’hui, Bibiane Courtois travaille toujours à la préservation du patrimoine, notamment en ce qui concerne le rapatriement des objets culturels de sa nation qui sont disséminés dans divers musées en Amérique du Nord. Mais comme pour toutes les retraitées à l’agenda débordant, les journées manquent d’heures! Tout en se passionnant par sa langue qu’elle est en train de réapprendre, elle adore broder, sculpter le bois et découvrir diverses techniques traditionnelles de ses ancêtres. Trois enfants et huit petits-enfants, ses trésors de vie, encerclent avec joie sa table à manger, qu’elle rêvait de remplir avec une immense famille, à laquelle sont désormais conviés tous ceux qu’elle aime.
Et comme le dit si bien cette kukum plus grande que nature: « les humeurs du Pekuakami m’ont façonnée, son horizon sans limites m'a donné la curiosité d’aller voir plus loin que le bout de mon nez, ses couleurs modelées par le temps m'ont accompagnée dans la défense de mes opinions sur différents sujets, la force de ses vagues m'a insufflé le courage de toujours continuer à respecter mes valeurs familiales et culturelles. »
Texte de Christine Martel